lundi 30 août 2010

22ème dimanche du temps ordinaire

22ème dimanche du TO/C
29/08/2010
Luc 14, 7-14 (p. 468)
L’Evangile de ce dimanche nous montre Jésus participant à un repas. Il serait intéressant de relever dans les Evangiles tous les repas auxquels le Seigneur a participé jusqu’à l’ultime repas, celui de la dernière Cène, par lequel il institue le sacrement de l’Eucharistie. Nous pourrions aussi relever toutes les paraboles qui mettent en scène un festin. Le repas de notre Evangile n’est pas ordinaire : c’est celui du Sabbat, un repas de fête, un repas sacré, et il ne se déroule pas chez un homme « quelconque » mais bien chez un personnage important, un chef des pharisiens, un « grand » de la société religieuse de l’époque. A l’occasion de ces repas, le Seigneur avait l’habitude d’enseigner. Il ne le faisait pas à la manière d’un cours théorique mais en partant de situations concrètes. Ici il observe les invités et remarque qu’ils choisissent les meilleures places, les premières. C’est bien à partir de cette simple observation que le Seigneur va nous enseigner à travers une parabole. Si nous ne tenons pas compte de sa conclusion (« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé »), cette parabole n’est en fait qu’un enseignement de sagesse humaine, de bon sens et même quelque part de calcul humain. D’ailleurs Jésus n’invente rien. La tradition de sagesse de l’Ancien Testament donnait déjà des conseils similaires dans le livre des Proverbes : « Ne fais pas l’important devant le roi, ne te mets pas au milieu des grands ; mieux vaut qu’on te dise : ‘Monte ici !’ que de te voir rabaissé en présence du prince ». Nous constatons que cette sagesse humaine n’a rien à voir avec l’humilité, mais qu’au contraire par un habile calcul on agit de telle sorte à ce que notre orgueil ne soit pas blessé. Dans cette sagesse ce qui motive notre choix c’est bien d’abord notre intérêt. Dans cette perspective « la condition de l’orgueilleux est sans remède ». Cette sagesse tactique ne nous guérit pas de notre orgueil, bien au contraire elle le conforte sous l’apparence d’une fausse humilité. Jésus donne un sens résolument nouveau à cet enseignement traditionnel par la conclusion de la parabole : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé ». Cela nous rappelle d’ailleurs ce que nous avons entendu dimanche dernier : « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers ». Alors oui cette parabole peut devenir une exhortation à cultiver en nous la vertu d’humilité. Vertu absolument nécessaire pour celui ou celle qui veut devenir disciple de Jésus-Christ. Car l’orgueil, nous le savons, est bien le péché capital, et probablement le péché originel : « La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui ». Avec Jésus nous avons enfin un remède pour notre orgueil, nous avons les moyens de déraciner en nous cette racine, cette origine du mal. Comment ? Par un amour de plus en plus intense et vrai pour le Christ, doux et humble de cœur, et pour Marie, sa mère et notre mère, l’humble servante du Seigneur. C’est dans la mesure où nous aimons vraiment Jésus et Marie que nous aurons le désir de les imiter. Et que par conséquent nous laisserons grandir en nous la vertu d’humilité. Alors toutes ces affaires de première ou de dernière place nous paraîtront bien ridicules par rapport au trésor que nous aurons acquis, celui d’une âme humble et unifiée. L’humilité est en effet un trésor précieux car elle correspond à la vérité. L’humilité n’est pas l’humiliation même si parfois il nous faut passer par la croix de l’humiliation pour être libérés de notre orgueil. L’humilité c’est tout simplement la vérité, la vérité sur nous-mêmes et sur notre relation avec Dieu. C’est se souvenir que nous sommes des créatures dépendantes du Seigneur, des créatures mortelles. L’orgueil est un filet par lequel le tentateur nous attrape en nous mentant, en nous faisant croire que nous sommes des êtres absolument autonomes, des êtres immortels. Le chrétien qui progresse dans la véritable Sagesse, celle de Jésus-Christ, ne se laisse plus attraper par ces mensonges et ces illusions. Il n’est plus l’esclave de la convoitise si bien décrite par saint Jean : Tout ce qu'il y a dans le monde- les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l'orgueil de la richesse -tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde avec ses désirs est en train de disparaître. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours.
La dernière partie de notre Evangile sur l’invitation aux repas a un lien avec ce que nous venons de méditer. Jésus nous demande d’agir gratuitement et non pas par intérêt, pour obtenir en retour quelque chose. Comme nous l’avons remarqué, si nous nous contentons de prendre la dernière place dans un repas uniquement pour éviter que notre orgueil ne soit blessé, nous ne sommes pas dans l’humilité mais nous agissons bel et bien en vue de notre intérêt. En fait il y a une grande différence entre la sagesse humaine et celle de Jésus-Christ. La sagesse humaine nous recommande l’habileté, l’action calculatrice en vue de notre intérêt personnel. La sagesse divine nous demande d’être en vérité ce que nous sommes : des créatures aimées et rachetées par Jésus. Imiter Jésus c’est renoncer au calcul pour aimer gratuitement et joyeusement. C’est vouloir donner et se donner en acceptant l’abaissement que cela peut impliquer. Celui qui est humble est toujours heureux de sa place qu’elle soit la dernière ou la première. Il est parfaitement libre parce que purifié de la jalousie et de l’orgueil.

mardi 24 août 2010

21ème dimanche du temps ordinaire

21ème dimanche du TO/C
22/08/2010
Luc 13, 22-30 (p. 421)
« Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? » La question que cet inconnu pose à Jésus est celle du salut de l’humanité. C’est donc une question essentielle et sérieuse. Si pour nous le péché originel ainsi que nos propres péchés sont des réalités, des réalités qui nous séparent de Dieu ou nous éloignent de lui, nous savons par expérience à quel point nous avons besoin d’être sauvés. Cette question porte sur le nombre des créatures sauvées : seront-elles nombreuses ou pas ? Même si Jésus ne répond pas directement à cette question, cela demeure une question inévitable pour le chrétien. Jésus fait route vers Jérusalem, il va vers son sacrifice en vue justement du pardon des péchés et du salut. Lors de l’institution de l’eucharistie il prononcera ces paroles significatives : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour une multitude, pour le pardon des péchés ». Ce sang du Fils de Dieu, répandu pour beaucoup selon une autre traduction, obtiendra-t-il le salut de l’humanité ou seulement celui d’un petit nombre d’élus ? Tout au long de l’histoire du christianisme les optimistes et les pessimistes ont donné leur interprétation. Ici Jésus affirme que l’accès au salut est difficile : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». Il ne répond pas à la question du nombre des élus. Mais le passage parallèle en saint Matthieu semble abonder dans le sens des « pessimistes » :
Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s'y engagent. Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent.

En saint Matthieu lorsque le Seigneur affirme la difficulté pour un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux, les disciples posent eux aussi la question du salut : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Et leur Maître de répondre : « Pour les hommes, c’est une chose impossible, mais pour Dieu tout est possible ». Nous constatons ainsi en parcourant les Evangiles que la question du salut est abordé de manière différente selon le contexte. L’Evangile de ce jour nous rappelle que nous n’irons pas tous automatiquement au Paradis. Que nous devons utiliser notre liberté selon la volonté de Dieu, c’est-à-dire entrer par la porte étroite, pour y parvenir. En même temps le Royaume de Dieu ne fait pas partie des droits de l’homme, c’est un don de Dieu, et seul Dieu est capable de nous y conduire par son Fils Jésus notre unique Sauveur.
La deuxième partie de notre Evangile ne se comprend qu’à la lumière de sa conclusion : « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers ». Dans son enseignement Jésus nous redonne le critère décisif de la valeur de notre vie humaine aux yeux de Dieu. Certains se rassurent à bon compte : « Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places ». Ici encore la version de saint Matthieu complète bien le propos de Jésus :
Ce jour-là, beaucoup me diront : 'Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons été prophètes, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?' Alors je leur déclarerai : 'Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui faites le mal !'
Qui sont donc ces premiers qui risquent de devenir derniers ? Certains Juifs tout d’abord qui, par orgueil (nous sommes le peuple élu, nous avons le temple), pouvaient oublier l’essentiel : la pratique du bien et de la justice. Mais aussi certains d’entre nous qui sommes catholiques pratiquants… Si nous oublions que notre fidélité à la messe du dimanche et à la vie de prière doit aller de pair avec notre désir de mettre en accord notre vie avec la volonté du Seigneur. Nous ne serons pas jugés sur une heure dans notre semaine, mais bien sur tous nos actes et choix quotidiens. « Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal », ou selon une autre traduction « vous les ouvriers d’injustice ». La leçon de cet Evangile pourrait être la suivante : au lieu de vous poser des questions théologiques sur le nombre des élus, agissez selon le bien et la justice. Il ne vous appartient pas de connaître le jour et l’heure du jugement ainsi que le nombre des sauvés. Mais je vous ai fait le don de la liberté pour que vous puissiez coopérer à votre salut par vos actes. Entrer par la porte étroite, c’est par conséquent se remettre en question, ne pas se reposer sur ses lauriers, et saisir que nous ne faisons pas naturellement et instinctivement le bien. Nous avons bien souvent à nous faire violence pour ne pas tomber dans l’égoïsme, l’hypocrisie ou encore l’orgueil religieux des premiers qui sont en fait les derniers. Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l'orient et de l'occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Même si le Seigneur ne répond pas directement à la question du nombre, il nous donne l’espérance du salut pour beaucoup. Certains Juifs seront sauvés et avec eux des hommes de toute race, langue et nation. Cette mention de l’extension géographique, reprise dans l’Apocalypse, nous montre que ce n’est pas en vain que le Christ a offert sa vie. Oui, le salut qu’il nous donne est vraiment universel !

mardi 17 août 2010

ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE

Assomption de la Vierge Marie
15/08/2010
Luc 1, 39-56 (p. 1173)
C’est dans son document consacré au mystère de l’Eglise que le Concile Vatican II parle de la place de la Vierge Marie dans la vie des chrétiens. A la fin de cette longue réflexion sur la nature de l’Eglise, le chapitre VIII de Lumen Gentium traite de « la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Eglise ». Si nous voulons vraiment connaître Marie, sa vocation, sa mission et sa place dans notre vie chrétienne, nous devons toujours la contempler « dans le mystère du Christ et de l’Eglise ». C’est bien parce qu’elle est la mère du Christ qu’elle est aussi la mère de l’Eglise et de chaque baptisé en elle. Mère de l’Eglise, elle est aussi, d’après le Concile, « un membre suréminent et absolument unique de l’Eglise ». « Elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère ». Le Concile nous parle de la Vierge Marie dans le mystère de son Assomption, et je me permets de le citer ici pour nous introduire au véritable sens de cette fête : « Après son Assomption au ciel, le rôle de Marie dans le salut ne s’interrompt pas : par son intercession répétée elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la patrie bienheureuse ».
Je reviendrai plus tard au texte du Concile. Je voudrais maintenant à partir de la parole de Dieu contempler Marie dans sa personne et dans sa mission. Le livre de l’Apocalypse nous fait voir cette fresque saisissante, située à la fin des temps, dans laquelle deux signes s’affrontent et se combattent : La Femme et le dragon. La Tradition catholique a vu dans cette Femme l’image de Marie. Curieusement, alors que la scène se situe à la fin des temps, cette femme nous est montrée sur le point d’accoucher. Et c’est contre l’enfant de cette femme que le dragon se déchaîne. Un peu comme si le mystère de Noël devait se répéter à la fin des temps, lors du combat final entre Dieu et les puissances du mal. Après la Nativité ce dragon a eu pour nom le roi Hérode. Souvenez-vous du massacre des Saints Innocents destiné à tuer le fils de Marie, Jésus nouveau-né. Dans l’eschatologie ce dragon est probablement une image de Satan. L’esprit mauvais a horreur de l’incarnation. Le fait que Dieu se fasse homme en Jésus, né de la Vierge Marie, cet abaissement divin en notre faveur, cette union du divin avec la chair et le sensible, mettent Satan dans une grande fureur. Car l’incarnation témoigne non seulement de l’immense bonté de Dieu, de sa miséricorde, mais aussi de son humilité et de sa volonté de s’unir aux pauvres créatures imparfaites et mortelles que nous sommes. Et si la Vierge Marie a été choisie depuis toute éternité par le Père pour être la Mère du Sauveur, c’est en grande partie en raison de son humilité. Elle est en quelque sorte l’anti-Satan. Et si nous mettons la première lecture en lien avec la deuxième, nous le comprenons encore mieux. Par son Assomption Marie participe déjà pleinement à la résurrection de son Fils. Elle lui est parfaitement unie dans sa victoire sur les puissances du mal et la mort. Aux côtés du Christ elle ne cesse de lutter contre les manœuvres du démon qui voudrait faire échouer le plan de salut divin pour notre humanité. Marie est la première créature à être totalement sauvée. Elle est le signe vivant de ce que l’union entre Dieu et ses créatures humaines est à nouveau possible par et dans le Christ. Le récit évangélique de la Visitation met en avant les vertus de Marie, « bénie entre toutes les femmes ». Si Marie est bienheureuse ce n’est pas d’abord parce qu’elle est la Mère du sauveur. C’est parce qu’elle a répondu « oui » de manière parfaite à l’appel de Dieu. Ce sont ses vertus qui lui ont permis de dire ce « oui » total et définitif au Seigneur. Dans l’Evangile de cette fête deux vertus de Marie sont mises en avant. Sa grande foi tout d’abord : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Et son humilité ensuite : « Il s’est penché sur son humble servante… Il élève les humbles ». Oui, dans son Assomption, Marie est élevée corps et âme à la gloire du ciel parce que toute sa vie elle n’a cessé de vivre humblement sous le regard de Dieu, et que son corps a été le tabernacle du Verbe de Dieu. C’est dans ce contexte des vertus mariales que le Concile Vatican II peut nous aider à comprendre ce qu’est la vraie dévotion du chrétien envers Marie : « Que les fidèles se souviennent qu’une véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité, pas plus que dans une vaine crédulité ; la vraie dévotion procède de la vraie foi, qui nous conduit à reconnaître la dignité éminente de la Mère de Dieu, et nous pousse à aimer cette Mère d’un amour filial, et à poursuivre l’imitation de ses vertus ». En ce jour de fête demandons à Marie, pleinement unie au Dieu Trinité, de nous faire grandir dans les vertus de foi et d’humilité. Puissions-nous l’aimer vraiment en l’imitant et en donnant jour après jour la joie du Christ Ressuscité à notre monde.

lundi 9 août 2010

19ème dimanche du temps ordinaire

19ème dimanche du TO/C
8/08/2010
Luc 12, 32-48 (p. 318)
Au cœur de l’été nous poursuivons notre lecture continue de l’Evangile selon saint Luc au chapitre 12. Le lien avec l’Evangile de dimanche dernier est évident même si nous sautons quelques versets pour parvenir au passage évangélique que nous venons d’entendre à l’instant. Souvenez-vous de la parabole de l’homme riche et de l’avertissement du Seigneur : « Gardez-vous de toute cupidité ». Et son invitation à s’enrichir en vue de Dieu. Dans les versets omis par la lecture continue nous trouvons l’un des enseignements majeurs de l’Evangile : « Cherchez le Royaume de Dieu, et cela vous sera donné en plus ». Quoi donc ? Le nécessaire pour notre vie humaine. De fait l’Evangile de ce dimanche ne cesse pas de nous parler de cette mystérieuse réalité du Royaume de Dieu. Et Jésus nous demande d’avoir et d’entretenir en nous deux attitudes fondamentales pour pouvoir accueillir ce Royaume : le détachement et la vigilance. Le détachement parce que le Royaume est déjà présent au milieu de nous avec Jésus, avec le mystère de l’incarnation. La vigilance parce que le Royaume doit encore s’accomplir avec le retour du Seigneur dans la gloire, retour dont nous ne pouvons pas connaître le moment. Dans le passage omis Jésus déplore notre peu de foi. C’est en effet parce que notre foi est bien faible que nous avons tant de mal à être détachés des biens matériels et à être vigilants pour le Royaume.
Regardons tout d’abord l’appel au détachement, dans la suite logique de la parabole de l’homme riche. Cet appel est précédé d’un enseignement essentiel : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». La présence de Dieu, son action nous sont données ! Jésus affirme que la grâce du Père est première dans notre condition de chrétiens. Hier comme aujourd’hui les chrétiens sont un « petit troupeau ». Notre dignité ne vient pas de notre nombre ou de notre puissance mais de ce que le Royaume nous est donné. Et si telle est bien la vérité de notre foi, alors nous n’avons rien à craindre, même si nous étions en situation minoritaire. Le signe que ce Royaume nous est donné réellement, c’est notre capacité à donner. De notre personne bien sûr, mais aussi de nos biens. Jésus souligne l’importance de l’aumône comme acte de foi dans le Royaume. Si notre trésor correspond à notre compte bancaire, alors nous ne pouvons pas aimer Dieu ni notre prochain comme Jésus nous le demande.
Regardons maintenant l’exigence de la vigilance en vue de l’accomplissement du Royaume, et cela à travers une parabole bien connue de tous et qui fait partie du lectionnaire pour les funérailles chrétiennes. Oui, notre vie chrétienne est en même temps un don, une grâce et une exigence. La fidélité répétitive des moines et des moniales est un magnifique exemple de vigilance. Pour nous qui vivons dans le monde avec un rythme de vie très différent des consacrés le travail de la vigilance correspond à notre devoir d’état. Notre vie dans le monde est elle aussi bien souvent répétitive. Elle peut même nous paraître fade et monotone tellement nous sommes attirés par la nouveauté et le changement. C’est là que la foi, l’amour et l’espérance chrétiennes peuvent transfigurer le quotidien en nous remettant dans l’axe du Royaume. Le devoir d’état ce n’est rien d’autre que notre vocation. Nous attendrons comme il faut le Seigneur si nous sommes de plus en plus fidèles à notre vocation que nous soyons mariés, prêtres, consacrés ou célibataires. Le fait d’être croyants n’enlèvera pas l’aspect répétitif de certaines tâches, le côté rébarbatif du devoir d’état. Mais nous aurons au cœur même de la monotonie la possibilité de puiser la joie aux sources du salut. C’est là que la prière a toute sa place comme boussole qui nous réoriente régulièrement vers l’essentiel, vers le Royaume. Et tout le reste nous sera donné par surcroît.
La conclusion de cette page évangélique nous remet devant une réalité que nous avons tendance à oublier. Au jour du jugement dernier ce ne sont pas les ignorants, athées ou non-chrétiens, bref les autres, qui auront le plus de soucis à se faire, mais bien nous. Non pas que Jésus nous pousse à la peur, il nous a dit « Sois sans crainte, petit troupeau », mais il veut nous faire comprendre la réalité suivante : au plus nous avons reçu, au plus il nous sera demandé. Si être chrétien c’est d’abord une grâce incomparable, c’est aussi une immense responsabilité : « A qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage ». Et c’est encore plus vrai du ministère des prêtres, des évêques et du pape. Saint Augustin l’avait bien compris lui qui faisait la différence entre la douce grâce d’être chrétien et le fardeau de la vocation d’évêque : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d’un office reçu ; le second, de la grâce ; le premier nom est celui d’un danger ; le second, du salut ”. Demandons vraiment la force de Dieu pour être fidèles chaque jour, si possible davantage, à la présence de son Royaume et à notre vocation particulière.

jeudi 5 août 2010

18ème dimanche du temps ordinaire

18ème dimanche du TO/C
1er août 2010
Luc 12, 13-21 (p.269)
Au cœur de notre été la liturgie de la Parole nous entretient du sens de notre vie. Question usée, pourrait-on penser, par les philosophies comme par les mythes et les religions… Mais question essentielle parce qu’éternelle, jamais démodée finalement.
La petite parabole de l’Evangile, celle de l’homme riche, est à lire en lien avec la première lecture, un court extrait du livre de Qohélet ou Ecclésiaste. Dans le contexte de la révélation biblique ce livre de sagesse, dans l’Ancien Testament, se démarque par son originalité et son étonnante modernité. Il prend ses distances avec l’optimisme des théologiens traditionnels. Notre première lecture nous en donne le début, assez célèbre, et en sautant de très nombreux versets, presque deux chapitres, nous fait entendre quelques versets de la fin du chapitre deux. Tout cela pour dire qu’il faudrait lire ces chapitres, et même ce livre bref et dense, dans leur intégralité. Je vous invite donc à faire cette lecture du livre de Qohélet dans votre Bible. Pour résumer le contenu des deux premiers chapitres, imaginons-nous un homme présenté comme un roi. Il a tout ce qu’il faut pour être heureux matériellement, il est comblé, il a parfaitement réussi sa vie du point de vue humain. Et même c’est un sage, un intellectuel. Malgré sa sagesse ou peut-être grâce à sa sagesse, il n’est pas satisfait. Il se met à réfléchir sur sa vie et en fait le bilan : « On ne tient rien, on court après le vent ; il n’y a rien à gagner sous le soleil ! […] Et j’ai trouvé la vie détestable : pour moi, tout ce qui se fait sous le soleil est une mauvaise affaire, tout nous échappe, on court après le vent ». Voilà le sens du dicton « Vanité des vanités, tout est vanité ! » que la Bible des Peuples traduit : « Rien qui tienne, on n’a de prise sur rien ! » Qohélet peut être perçu comme un pessimiste. Mais lui se définit comme un réaliste. La vanité de notre vie humaine, c’est-à-dire son vide, son néant, son inconsistance, ne provient pas seulement du fait qu’elle est limitée dans le temps par la mort, comme nous le rappelle le psaume 89. Elle provient aussi de ce qui semble être une injustice permanente : non seulement la mort réduit à néant toute une vie de labeur et d’activité, mais un homme juste et travailleur peut laisser son héritage à un fils fainéant et injuste… La question posée par Qohélet et par Jésus dans l’Evangile est donc la suivante : qu’est-ce qui offre à notre vie un fondement solide ? Ou bien que signifie réussir sa vie ? Au sein même de cette inconsistance comment vivre sans se décourager et finalement désespérer ? Jésus traite de « fou » l’homme riche de la parabole, celui qui à l’opposé de Qohélet, est parfaitement satisfait de sa réussite sociale et matérielle sans se poser aucune question. Sa folie tient d’abord à ce qu’il oublie le terme inévitable de sa vie terrestre. Le psaume demande au Seigneur : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse ». Le sage c’est celui qui sait qu’il retournera à la poussière, et que comme une simple herbe des champs, il peut en un seul jour se faner, se dessécher. La pensée de la mort n’est pas forcément source de désespoir, comme dans le livre de Qohélet. Elle permet à celui qui est sage de la sagesse du Christ de donner au contraire à sa vie tout son poids et toute sa valeur. C’est bien parce que notre vie est limitée temporellement que nos activités revêtent dans leur « vanité » apparente un poids d’éternité. La folie de cette homme consiste surtout en sa cupidité : « Gardez-vous bien de toute âpreté au gain ». Saint Paul résumera l’enseignement de Jésus sur le danger des richesses en une formule saisissante : « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux ». Les désordres et les déséquilibres de notre monde viennent très souvent de la course au profit alliée à l’orgueil et au désir de dominer. Désordres économiques c’est évident, mais aussi politiques, sociaux. Dans de nombreux conflits armés l’aspect financier est non négligeable. Le Seigneur nous met donc en garde pour nous éviter l’idolâtrie de l’argent et dans le même mouvement pour que nous soyons riches « en vue de Dieu ». L’homme nouveau, celui qui est uni au Christ par le baptême et par la foi, échappe à la vanité de la vie dans la mesure où il s’enrichit en vue de Dieu. Au sein de la fragilité et de l’inconsistance de tout ce qui est humain, nous pouvons fonder notre vie et ses activités sur la parole du Christ, roc inébranlable. C’est cette parole qui nous enseigne comment nous enrichir en vue de Dieu. Jésus ne nous demande pas d’être de tristes jansénistes refusant les plaisirs et les joies de l’existence humaine. Les accepter c’est aussi accepter humblement sa condition de créature charnelle, comme nous l’enseigne l’Ecclésiaste. Le chrétien sait être reconnaissant pour les bienfaits de la Création. Il sait surtout que c’est par l’amour, donc par le refus de l’égoïsme, qu’il fait entrer déjà un peu d’éternité dans la « vanité » de cette vie. Pour reprendre une expression de saint Paul, « seule vaut la foi qui agit grâce à l’amour ». Demandons au Seigneur Jésus sa force et sa lumière pour prendre ce chemin de vie qui seul peut nous conduire à la vie éternelle !