dimanche 17 mars 2024

Cinquième dimanche de Carême / année B

 


17/03/2024

Jean 12, 20-33

L’Evangile de ce dimanche de Carême nous introduit déjà dans le mystère de la Passion du Seigneur avec la mention de l’agonie de Jésus :

Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !

Dans sa première lettre aux Corinthiens l’apôtre Paul situe ce mystère de la Passion dans son contexte historique :

Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes.

La Passion et la mort en croix du Fils de Dieu demeurent aujourd’hui quelque chose d’incompréhensible qui choque notre raison humaine et notre vision de la divinité. Aujourd’hui encore il est difficile pour nous chrétiens d’accepter cette logique du grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour donner la vie. Aujourd’hui encore certains chrétiens sont attirés par les signes miraculeux, les séances de « guérisons » et d’ « exorcismes », les apparitions et les révélations de toutes sortes, oubliant qu’il n’y a pas d’autre signe que le signe de Jonas, c’est-à-dire le signe de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Dans une société où la foi religieuse est en net recul, on constate aussi une aspiration à donner du sens à l’existence humaine par la recherche de la sagesse à la manière des Grecs de saint Paul. Il n’y a qu’à voir dans les librairies le nombre de parutions consacrées aux grandes sagesses de l’antiquité et à des philosophes comme Spinoza. C’est ce que Luc Ferry et André Comte-Sponville appellent une spiritualité sans Dieu, une spiritualité laïque. Tel est le terrain concret dans lequel le grain de blé de l’Evangile tombe en terre de nos jours. Le scandale et la folie du mystère chrétien nous conduisent à comprendre la différence essentielle entre sagesse humaine et foi dans le Christ. La foi ne supprime pas la raison ni la sagesse mais elle est d’un autre ordre. C’est ce que semblent comprendre les Grecs de notre Evangile. Ils ne sont pas Juifs mais ils estiment la religion des Juifs et reconnaissent le Dieu unique. Ces Grecs qui ont donné au monde le trésor de la sagesse antique, ces Grecs initiateurs de la philosophie et qui portent donc en eux le désir d’une vie selon la sagesse, ces Grecs demandent à voir Jésus. Dans l’antiquité les maîtres de sagesse étaient fort nombreux comme Socrate, Platon, Aristote, Epicure etc. Ils avaient leurs disciples comme Jésus avait les siens. Les Grecs de notre Evangile perçoivent quelque chose d’unique et de nouveau dans la personne de Jésus. Ils ne veulent pas apprendre seulement de belles doctrines sur la vie bonne, ils veulent rencontrer une personne qu’ils saisissent comme envoyée par Dieu, comme divine. Notre foi n’est pas d’abord un ensemble de doctrines religieuses, elle est désir, rencontre et communion avec le Christ. La démarche de ces Grecs nous fait penser à l’affirmation du magnifique prologue de l’Evangile selon saint Jean :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu.

Le mot « Verbe » traduit ici le mot grec Logos qui signifie à la fois la raison et la parole. La sagesse que les Grecs recherchent tant, c’est une personne, c’est Jésus, le Verbe incarné. Dans le mystère de l’incarnation la Sagesse de Dieu se fait folie dans l’abaissement extrême du mystère de la Passion. En Jésus la folie de l’amour et la sagesse de Dieu sont unies. La démarche des Grecs commence le long cheminement de l’Evangile universel dans le cœur des hommes :

Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. 


samedi 9 mars 2024

Quatrième dimanche de Carême / année B

 

10/03/2024

Jean 3, 14-21

En ce dimanche l’Evangile nous fait entendre l’enseignement que Jésus donne à Nicodème. Le cœur de cet enseignement concerne notre salut et la promesse de la vie éternelle. C’est grâce à l’amour du Père manifesté en son Fils que ce salut nous est donné. Ce salut passe par le mystère de la croix annoncé par les paroles de Jésus : il faut que le Fils de l’homme soit élevé. Ce qui nous frappe lorsque nous méditons cet Evangile, c’est l’insistance de Jésus sur la foi. Il en parle en effet à cinq reprises dans son enseignement. Et la foi est liée à la promesse de la vie éternelle. C’est dire que le salut offert par Dieu passe aussi par notre réponse libre, notre réponse de foi. Et que cette réponse est essentielle pour nous permettre d’entrer dans le salut de Pâques. Paul dit exactement la même chose dans la deuxième lecture :

C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.

Notre foi n’est pas séparable des œuvres de l’amour, du fruit de l’Esprit à l’œuvre dans nos vies. C’est la raison pour laquelle Jésus dit à Nicodème celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. La vérité sur Dieu, sur le Christ, sur l’homme, sur notre salut n’est pas d’abord une affaire de connaissance théorique. Jésus parle en effet de faire la vérité. Notre connaissance de Dieu passe toujours par une foi pratique, une foi concrète, celle dont parle l’apôtre Paul dans sa lettre aux Galates : seule vaut la foi qui agit grâce à l’amour. C’est donc en accomplissant la volonté de Dieu que nous entrons peu à peu dans son mystère. Cela fait écho à la fin de la deuxième lecture :

C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.

C’est cela que le prêtre suisse Maurice Zundel exprimait en disant Je ne crois pas en Dieu, je le vis. Non pas pour nier l’importance de la foi mais pour insister sur le fait qu’elle est d’abord et toujours une expérience personnelle de Dieu qui nous permet de faire la vérité, c’est-à-dire de nous dévouer au bien en imitant la générosité du Seigneur Jésus.

dimanche 3 mars 2024

Troisième dimanche de Carême / année B

 

3/03/2024

Jean 2, 13-25

Alors que Matthieu et Marc situent la purification du temple à la fin du ministère de Jésus, Jean en fait un geste inaugural, au commencement de sa mission. L’Evangile de ce dimanche de carême nous rapporte tout d’abord le geste de Jésus puis la polémique qui s’en suit avec certains Juifs, témoins de la scène.

Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs.

Les marchands d’animaux et les changeurs étaient nécessaires pour le bon fonctionnement du culte fondé sur les sacrifices d’animaux, particulièrement nombreux à être sacrifiés pour la grande fête de la Pâque. Jésus ne veut pas de leur présence dans l’enceinte du temple. Imaginons un instant le Seigneur dans les sanctuaires de Lourdes s’attaquant au commerce des cierges et nous comprendrons aisément que son geste était insupportable au regard du commerce lucratif qui s’exerçait dans le temple. Par son geste le Seigneur ruine en effet l’économie du temple. La motivation qu’il lui donne provient d’une citation approximative du prophète Zacharie : Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. Voici le verset par lequel le livre de Zacharie s’achève : Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur de l’univers, en ce jour-là. Chez Matthieu et Marc Jésus cite Jérémie au lieu de citer Zacharie : Ma maison sera appelée maison de prière. Or vous, vous en faites une caverne de bandits. Et voici la citation exacte de Jérémie : Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? Pour moi, c’est ainsi que je la vois – oracle du Seigneur. Le geste de Jésus est donc clairement prophétique. Il rappelle la vocation du temple à être une maison exclusivement consacrée à la prière dans laquelle le commerce n’a pas sa place. Mais la portée prophétique de ce geste va bien au-delà de l’exclusion hors du temple des marchands d’animaux en vue des sacrifices. Elle annonce la fin du culte ancien, l’abolition des sacrifices d’animaux. C’est dans la deuxième partie du récit, la polémique avec les Juifs, que le culte nouveau est clairement annoncé : Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai… lui parlait du sanctuaire de son corps. Le geste prophétique de Jésus ne consiste donc pas seulement à purifier le temple, à lui rendre sa vocation de maison de prière. Ce geste annonce la fin du temple lui-même, la substitution du temple de pierre par le temple de chair qui est le corps du Christ lui-même. Si le temple de Jérusalem détruit par les Romains en 70 n’a jamais été reconstruit, le corps du Christ mort en croix a vaincu la mort par la résurrection le jour de Pâques. Matthieu, Marc et Luc notent qu’après la mort de Jésus le voile du sanctuaire se déchira en deux de haut en bas, signifiant ainsi la fin du culte ancien. Le saint des saints ce n’est plus désormais la partie la plus sacrée du temple, c’est le corps de Jésus dans lequel habite la plénitude de la divinité pour reprendre une expression de saint Paul (Col 2,9). Paul applique dans ses lettres aux Corinthiens cette vérité aux chrétiens eux-mêmes, membres du corps du Christ : Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous… Nous, en effet, nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit lui-même : J’habiterai et je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

L’Evangile de ce dimanche nous appelle à respecter nos églises, en tant que lieux de prière et de célébration des sacrements. C’est par le comportement de chacun que nous pouvons créer dans nos églises une atmosphère propice au recueillement et à l’accueil de Dieu qui se donne. L’Evangile de ce dimanche nous appelle surtout à prendre une conscience renouvelée que nous sommes les temples du Dieu vivant. Il s’agit bien de notre part d’un acte de foi car cette inhabitation divine n’est pas la plupart du temps perceptible de manière sensible. En ce temps de carême, quels sont les marchands que nous devons chasser du sanctuaire de notre cœur, là où habite le Dieu trois fois saint ? Comment nous préparons-nous avant la messe à recevoir le don du corps du Christ ? Arrivons-nous à l’avance au rendez-vous du repas du Seigneur afin de bien nous préparer à cette rencontre du dimanche ?

dimanche 18 février 2024

Premier dimanche de Carême / année B

 

18/02/2024

Marc 1, 12-15

Le récit des tentations de Jésus au désert marque chaque année le commencement du Carême. C’est l’Esprit qui inspire à Jésus de faire en quelque sorte une retraite spirituelle de 40 jours avant de commencer son ministère public. C’est pour lui le temps de la préparation dans le silence et la prière, mais aussi le temps de l’épreuve puisque Satan se manifeste pour l’éloigner de sa mission. Contrairement à Matthieu et à Luc, saint Marc ne nous dit rien du contenu des tentations. Par contre il est le seul à nous donner ce verset : Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. C’est par rapport à ce verset que nous pouvons recevoir la première lecture qui nous parle de l’alliance de Dieu avec Noé et les animaux : Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. L’harmonie que Jésus vit au désert avec les créatures spirituelles, les anges, et les bêtes sauvages est comme une image de l’alliance avec Noé après le déluge. Le verset de saint Marc nous dépeint une création réconciliée. La variété des créatures (animales, humaines, angéliques) n’aboutit pas à une déchirure ou à un conflit mais bien à une réconciliation, comme celle entrevue par la prophétie d’Isaïe 11 à laquelle je vous renvoie. Cette réconciliation a lieu parce que Jésus est l’homme parfait, parce qu’il est saint. Les nombreux récits de vies de saints nous montrant un saint Jérôme, un saint François ou un saint Gens vivant en bonne entente avec les bêtes sauvages traduisent à leur manière la même réalité. A la suite du verset de saint Marc toute une tradition philosophique a compris l’homme comme celui qui se trouve au milieu entre les créatures purement spirituelles, les anges, et les créatures animales. L’homme microcosme de la création, à la fois charnel et spirituel, prêtre et roi de toute la création. C’est notre condition humaine, chair et esprit, qui fait que nous pouvons être tentés et faibles. Pour les bêtes sauvages pas de tentation. Quant aux anges Lucifer / Satan, l’auteur des tentations, fut victime de son orgueil, étant un pur esprit sans être pour autant Dieu lui-même. En s’inspirant en partie de Montaigne, Pascal a de belles réflexions dans ses Pensées sur notre condition humaine qui fait le milieu entre l’ange et la bête. Je le cite :

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre, mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre… Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre.

Avec Jésus au désert nous sommes appelés à nous connaître nous-mêmes, à connaître à la fois notre grandeur et notre bassesse. Pascal tire de ce principe une application morale : L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. Il nous faut tout autant fuir l’orgueil spirituel que la caricature de l’humilité que constitue le dénigrement de soi. Dans l’oubli de notre condition charnelle et mortelle, l’orgueil spirituel nous aveugle et nous installe dans l’illusion. Nous sommes alors facilement tentés sous couvert de bien et de perfection spirituelle, en jouant les anges nous perdons notre dignité humaine. Il ne s’agit pas non plus de se battre la poitrine en permanence en nous répétant à longueur de journée que nous ne sommes que péché et bassesse, que nous sommes nuls… Cette attitude mène tout droit au désespoir et nous éloigne du salut apporté par Jésus. Comme toujours la vertu authentiquement chrétienne se trouve dans la perfection de l’équilibre, perfection rappelée par Pascal et qui a pour nom l’humilité. Gardons au cœur le message de saint Pierre dans la deuxième lecture : Le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ. Demandons au Christ la grâce de nous engager envers Dieu dans ce temps du Carême avec une conscience droite, et à le faire dans la vérité de l’humilité. Par rapport aux résolutions que nous voulons prendre dans ce chemin qui conduit vers la vie de Pâques, ne nous fixons pas des objectifs nombreux et irréalisables, mais bien des progrès humbles, limités et concrets. Demandons-nous avec une conscience droite ce qui dans notre vie fait obstacle en nous à la grâce du baptême. En écho au message du pape pour ce Carême regardons ce qui nous empêche d’être vraiment libres, ce qui freine en nous la libération que Dieu nous offre. C’est dans cette perspective que le jeûne ne se limitera pas à la nourriture mais pourra concerner nos divertissements, nos addictions (Smartphone, Internet par exemple), l’usage de notre langue etc. Pareillement l’aumône ou le partage ne se limitera pas à un don d’argent, même si ce geste concret est important, mais favorisera l’ouverture de notre cœur à la générosité sous toutes ses formes envers notre prochain (visiter une personne isolée ou malade par exemple) … Il est parfois bien plus difficile de donner de son temps et de sa personne que de faire un don d’argent… A chacun donc de s’engager avec une conscience droite envers Dieu dans l’humilité du cœur.

 

dimanche 4 février 2024

Cinquième dimanche du temps ordinaire / année B

 


5ème dimanche du TO / B

4/02/2024

Marc 1, 29-39

Dès les premières pages de son Evangile Marc nous présente en quelque sorte une journée type du ministère de Jésus en Galilée. Ce qui nous frappe d’emblée c’est l’emploi du temps plus que chargé du Seigneur… Le temps réservé au repos et au sommeil semble réduit au strict minimum… Les indications temporelles sont claires :

Le soir venu, après le coucher du soleil… Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube…

Il ressort de cette page évangélique que Jésus était entièrement donné aux hommes et à son Père. On peut se demander pourquoi l’Eglise nous propose en première lecture ce passage du livre de Job :

Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance.

Cette vision négative de notre vie sur terre n’est pas réservée à Job, icône de la souffrance physique et morale. L’auteur du livre de l’Ecclésiaste qui se présente à nous comme puissant, riche et comblé partage pourtant avec Job la même vision :

Oui, je déteste la vie ; je trouve mauvais ce qui se fait sous le soleil : tout n’est que vanité et poursuite de vent. Je déteste tout ce travail que j’accomplis sous le soleil et que je vais laisser à mon successeur.

Les morts qui sont déjà morts, je les déclare plus heureux que les vivants encore en vie, et plus heureux que ceux-là celui qui n’existe pas encore, car il n’a pas connu le mal qui se fait sous le soleil.

Le parallèle entre la vie de Job vue comme une corvée et la vie bien remplie de Jésus qui proclame la Bonne Nouvelle nous interroge. Spontanément nous pouvons comprendre ce parallèle de la manière suivante : Jésus vient nous sauver de la négativité de notre vie sur cette terre en la remplissant de sa présence et de son amour. Jésus est celui qui donne un sens à nos souffrances et à nos épreuves en les reliant à Dieu, donc au salut. L’Evangile de ce dimanche peut aussi être une invitation à réfléchir sur l’utilisation du temps de notre vie humaine qui, fort heureusement, ne se réduit pas à la vision de Job. L’emploi du temps bien chargé de Jésus n’est pas une invitation à réduire le temps du sommeil et du repos, sauf si nous sommes dans le péché capital de paresse. Lui était homme et Dieu Sauveur … nous, nous ne sommes que des humains ! Mais cette journée type du Seigneur nous engage à ne pas gaspiller le temps que Dieu nous donne sur cette terre. L’un des premiers moyens pour vivre notre vie pleinement et intensément consiste à retrouver, si nous l’avons perdu, la valeur du temps présent. Nous vivons souvent dans la nostalgie ou la culpabilité du passé, mais encore plus dans l’avenir. Or Jésus nous invite à vivre le moment présent sous le regard de Dieu :

Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine.

Notre vie quotidienne est faite de travail, de prière, de loisirs et de repos. L’Evangile de ce dimanche nous invite à faire une révision de vie. Est-ce que je parviens à trouver un équilibre entre toutes ces dimensions de ma vie humaine ? Existe-t-il une harmonie, une unité ou bien au contraire un cloisonnement entre ces différents aspects de ma journée ? Ce qui contribue puissamment à unifier toutes ces dimensions, c’est notre engagement personnel dans la vie de prière et de méditation, engagement à donner à Dieu de l’espace dans notre vie. Quant aux moments de détente et de loisirs, contribuent-ils à enrichir ma vie personnelle, à me cultiver par exemple par des lectures nourrissantes ? Me permettent-ils de vivre l’idéal de l’adage latin mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain ? Enfin vivre l’instant présent, l’aujourd’hui de Dieu, c’est aussi être capable de goûter à leur juste valeur les simples joies humaines que la vie quotidienne met sur notre chemin mais que bien souvent nous ne voyons pas parce que nous les considérons à tort comme banales ou ordinaires. Malgré son pessimisme de fond l’auteur de l’Ecclésiaste sait lui aussi reconnaître ces moments et en rendre grâce à Dieu :

J’ai compris qu’il n’y a rien de bon pour les humains, sinon se réjouir et prendre du bon temps durant leur vie. Bien plus, pour chacun, manger et boire et trouver le bonheur dans son travail, c’est un don de Dieu.

 


dimanche 21 janvier 2024

Troisième dimanche du temps ordinaire / année B. Dimanche de la parole de Dieu.

 

Dimanche de la Parole de Dieu – 21/01/2024

 

Sermon de Bossuet sur la Parole de Dieu

 

La réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II a donné à la Parole de Dieu une place essentielle dans la célébration des sacrements et tout particulièrement dans la célébration du sacrement de l’eucharistie. Les prédicateurs sont ainsi passés du sermon qui abordait l’un ou l’autre point de la foi catholique à l’homélie, c’est-à-dire à un commentaire de la Parole de Dieu. La constitution sur la Sainte Liturgie (Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963) affirme d’une manière significative que le Christ « est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures » (n°7). Dans la même constitution nous trouvons des expressions maintenant bien connues pour caractériser la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique : « La table de la parole de Dieu » (n°51) et « la table du Corps du Seigneur » (n°48). La conclusion logique de tout cela, c’est bien sûr l’unité du sacrement de l’eucharistie : « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte de culte » (n°56). Cet enseignement du Concile s’enracine dans la Tradition patristique. Au 15ème siècle l’Imitation de Jésus-Christ utilise déjà le vocabulaire des « deux tables » : « L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. L’autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints » (IV, 11, 4). Au 17ème siècle le grand prédicateur que fut Bossuet développe avec vigueur et génie « cette alliance sacrée qui est entre la chaire et l’autel ». Son sermon sur la Parole de Dieu, donné en 1661, est en effet une profonde méditation sur « ce rapport admirable entre l’autel et la chaire ». Son enseignement peut encore aujourd’hui nous aider à participer « consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée » par excellence qu’est la célébration de l’eucharistie (Sacrosanctum Concilium, n°48).

 

Je citerai dans un premier temps un peu longuement un très beau passage de l’exorde. C’est la thèse du prédicateur, le fondement de tout son développement :

« Le temple de Dieu a deux places augustes et vénérables, je veux dire l’autel et la chaire. Là, se présentent les requêtes ; ici, se publient les ordonnances ; là, les ministres des choses sacrées parlent à Dieu de la part du peuple ; ici, ils parlent au peuple de la part de Dieu ; là, Jésus-Christ se fait adorer dans la vérité de son corps ; il se fait reconnaître ici dans la vérité de sa doctrine. Il y a une très étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres qui s’y accomplissent ont un rapport admirable. Le mystère de l’autel ouvre le cœur pour la chaire ; le ministère de la chaire apprend à s’approcher de l’autel ».

Après cette introduction Bossuet développe sa méditation selon trois points :

 

Premier point : auditeurs fidèles et prédicateurs évangéliques

 

Deuxième point : la parole de Dieu doit aller au cœur de l’auditeur

 

Troisième point : la parole de Dieu accueillie dans le cœur nous fait accomplir la volonté de Dieu

 

Je me limiterai en ce dimanche au premier point.

 

Pour Bossuet « le ministère de la parole » est le « plus grave, le plus important, le plus nécessaire emploi de l’Eglise ». Dans son sermon il s’adresse autant aux prédicateurs qu’aux auditeurs. Et le parallèle qu’il ne cesse de faire entre l’autel et la chaire doit amener les uns et les autres au plus grand respect envers la Parole de Dieu et la prédication qui en découle. Le grand prédicateur qu’est l’aigle de Meaux (Bossuet était évêque de cette ville) s’élève contre une tendance de son époque : la prédication mondaine. Lorsque l’éloquence et les figures de style deviennent la priorité des prédicateurs, alors la sainte prédication est abaissée au rang d’un divertissement futile : « Il y a ici un ordre à garder : la sagesse marche devant comme la maîtresse, l’éloquence s’avance après comme la suivante ». L’éloquence doit donc toujours être secondaire. A la suite de saint Augustin, Bossuet affirme avec force l’éminente dignité du ministère de la prédication. Pour lui les prédicateurs de l’Evangile montent en chaire « dans le même esprit qu’ils vont à l’autel ; ils y montent pour célébrer un mystère, et un mystère semblable à celui de l’Eucharistie. Car le corps de Jésus-Christ n’est pas plus réellement dans le sacrement adorable que la vérité de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique ». Jésus-Christ est la Vérité. Le prédicateur évangélique doit se soumettre en toutes choses à cette divine vérité. L’auditeur évangélique doit désirer de toutes ses forces la vérité de l’Evangile en écoutant les saintes prédications. « D’où il faut tirer cette conséquence, qui doit faire trembler tout ensemble et les prédicateurs et les auditeurs, que, tel que serait le crime de ceux qui feraient ou exigeraient la célébration des divins mystères autrement que Jésus-Christ ne les a laissés, tel est l’attentat des prédicateurs et tel celui des auditeurs, quand ceux-ci désirent et que ceux-là donnent la parole de l’Evangile autrement que ne l’a déposée entre les mains de son Eglise ce céleste prédicateur que le Père nous ordonne aujourd’hui d’entendre. » Qui est donc le prédicateur évangélique ? « Celui qui fait parler Jésus-Christ […], un interprète fidèle qui n’altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni ne diminue sa sainte parole ». Le prédicateur est l’humble serviteur de la Parole de Dieu. Et si à certaines époques les prédicateurs évangéliques se font rares, c’est parce que les chrétiens ne cherchent plus « en vérité la saine doctrine ». Bossuet parle ici d’un mystère : « Ce sont les auditeurs fidèles qui font les prédicateurs évangéliques, parce que, les prédicateurs étant pour les auditeurs, ‘les uns reçoivent d’en haut ce que méritent les autres’ ».

 

Au terme de cette réflexion sur la parole de Dieu et le ministère de la prédication en compagnie de Bossuet, je lui laisserai une dernière fois la parole :

 

« Mes Frères, ces mystères sont amis ; ne soyons pas assez téméraires pour en rompre la société. Adorons Jésus-Christ avant qu’il nous parle ; contemplons en respect et en silence ce Verbe divin à l’autel, avant qu’il nous enseigne dans cette chaire. Que nos cœurs seront bien ouverts à la doctrine céleste par cette sainte préparation ! Pratiquez-la, Chrétiens : ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ puisse être votre docteur ! »

 

 

 

 

dimanche 7 janvier 2024

EPIPHANIE 2024

 


Epiphanie 2024

Au chapitre 11 de l’Evangile selon saint Matthieu l’évangéliste nous rapporte une prière de louange que Jésus adresse à son Père : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Le motif de la louange de Jésus semble entrer en contradiction avec la visite des mages auprès de Jésus nouveau-né. En effet les mystérieux mages dont nous ignorons le nombre, les noms et le pays d’origine, sont bien des sages et des savants. L’Epiphanie, c’est précisément la révélation du salut de Dieu apportée à des sages et à des savants venus d’Orient jusqu’à Jérusalem puis à Bethléem. On peut supposer que ces mages de l’antiquité étaient à la fois des astronomes/astrologues et des philosophes. A l’époque de la naissance du Christ la séparation entre astronomie et astrologie, entre sciences physiques et philosophie n’existait pas. Tous les sages de l’antiquité, les philosophes, s’intéressaient au cosmos, au fonctionnement de l’univers et aux lois physiques qui le régissaient. Cette veine scientifique de la philosophie a d’ailleurs continué jusqu’à l’époque moderne comme en témoignent Descartes et Pascal.

Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. Les mages parlent de l’étoile du Christ comme d’un signe divin. S’il est juste de voir dans l’Epiphanie une célébration de l’universalité du salut, ces mages ne sont pas Juifs, cette universalité va bien au-delà d’une question de religion, donc de la séparation entre Juifs et non-Juifs. Dans le mystère de l’Epiphanie l’enfant de Bethléem accueille tous les hommes, qu’ils soient sages ou ignorants, savants ou sans culture, riches comme les mages ou pauvres comme les bergers.

La voyage des mages, hommes savants et riches venus d’Orient, nous enseigne que Dieu parle à tous les hommes en utilisant un langage qu’ils peuvent comprendre. Dieu parle à tous les hommes en s’adaptant en quelque sorte à leur condition humaine concrète. Il utilise donc l’étoile pour toucher le cœur des mages. Le Verbe de Dieu épouse notre humanité, non pas en général, mais en descendant dans le concret et la singularité de notre condition humaine telle qu’elle est vécue par chacun et cela de manière unique. Les mages étaient passionnés et fascinés par l’observation des phénomènes célestes et des astres. Dieu utilise en quelque sorte leur passion pour les conduire à son Fils, donc au salut. Cela signifie que nos passions humaines ne sont pas forcément négatives comme le laisse entendre l’usage courant de ce mot. Elles ne sont pas forcément opposées à la vie spirituelle de communion avec Dieu. Ce qui nous intéresse et nous motive dans notre vie humaine, ce qui nous passionne, peut devenir un chemin vers Dieu. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.

Nous pouvons donc nous demander personnellement : Quelles sont mes passions et mes centres d’intérêts ? Cette réflexion peut être importante du point de vue spirituel pour nous aider à comprendre le langage que Dieu utilise pour nous personnellement afin de nous conduire à la connaissance de son mystère et à la révélation de son Fils. La Parole de Dieu ne se limite pas à la Bible. Tout peut être Parole de Dieu : les astres, le cosmos, les sciences, l’art, la musique, le sport etc. Tous ces vastes domaines de la culture dans lesquels le génie créateur de l’homme s’exprime et témoigne de l’appel à la transcendance inscrit au plus profond de notre cœur. Dans le mystère de l’incarnation Dieu ne nous demande pas d’être des hommes et des femmes amputés de la richesse de nos passions. L’histoire nous montre au contraire de nombreux exemples de grands croyants qui étaient indissociablement philosophes, savants, artistes etc. Notre foi en Jésus, Fils de Dieu, manifesté dans la chair, intègre et purifie toute la richesse qui constitue notre humanité dans son génie créateur et dans sa recherche de la vérité et de la sagesse. Notre foi ne nous appauvrit pas, ne nous ampute pas, elle nous élève vers Dieu avec tout ce qui fait la beauté de notre humanité dans son unité comme dans sa diversité. Notre appartenance au Christ intensifie donc notre vie, ce qui explique qu’elle est source d’une joie profonde, celle-là même que les mages ont éprouvée à Bethléem :

Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.